Décryptage - Qualité de l’air intérieur : bien comprendre les solutions disponibles pour répondre à une préoccupation grandissante
Longtemps peu visible par rapport aux enjeux d'efficacité énergétique et à l'urgence climatique, la qualité de l'air intérieur devient une préoccupation majeure : la nécessité d'offrir aux occupants des bâtiments un environnement sain a été mise sur le devant de la scène par la pandémie et, parallèlement, la RE 2020 impose un contrôle des systèmes de ventilation résidentiels installés.
Quel est le contexte réglementaire de la QAI ? Quelles sont les technologies existantes ? Combien bien les choisir ? Comment évolue le marché ?
Laure Mouradian, directrice adjointe des actions collectives et de l'innovation, et François Battistoni, ingénieur d'affaires et formateur en aéraulique (CETIAT), font le point sur les solutions et l'accompagnement que le centre technique apporte aux industriels pour fiabiliser et améliorer les performances de leurs produits.
Quel est le contexte règlementaire s'appliquant à la ventilation et à la QAI ?
Laure Mouradian (LM) : Longtemps, qualité de l'air intérieur et énergie ont été traitées séparément : le code de la construction et de l'habitat mentionne que "les bâtiments sont conçus, construits et entretenus en préservant la qualité de l'air intérieur, qui fait l'objet d'exigences spécifiques par typologie de bâtiment" (article L 153-1) et que "la construction et la rénovation de bâtiments limitent les consommations d'énergie et de ressources des bâtiments construits et rénovés […], sans préjudicier au respect des objectifs de qualité sanitaire et au confort thermique". Mais les réglementations qui en découlent - règlementation hygiène ou Code du travail et réglementation thermique/énergétique - fixent des exigences indépendantes.
L'attention portée à la ventilation concernait initialement l'assainissement du bâti (il s'agissait d'éviter les désordres dus à l'humidité et à l'apparition de moisissures), puis elle s'est concentrée sur la consommation énergétique des systèmes. Désormais, elle intègre l'ensemble des performances : confort thermique, acoustique et bien sûr qualité de l'air.
La RE2020 a marqué un virage : désormais, la qualité des systèmes de ventilation des bâtiments résidentiels installés doit être vérifiée pour pouvoir délivrer l'attestation de prise en compte de la RE2020. Il est donc désormais acquis que l'indispensable réduction des consommations énergétiques ne doit pas se faire au détriment de la QAI.
Le code de la construction a été modifié pour mieux inclure les systèmes innovants en transformant les exigences de moyens en exigences de résultats : c'est l'approche dite "performancielle". Pour les systèmes de ventilation, un groupe d'experts travaille sur la définition des critères minimaux permettant d'assurer une bonne QAI, avec comme objectif la publication d'un arrêté en 2025.
Avez-vous observé un "effet Covid" pour accélérer ce mouvement vers une meilleure prise en compte de la QAI ?
Depuis la pandémie, le sujet de la QAI est devenu concret pour tous : comment renouveler notre air ? Comment fonctionne la ventilation ? Dans quelle proportion diluer l'air intérieur avec de l'air extérieur dit" neuf" suffit-il à supprimer les risques de propagation du virus ?
Laure Mouradian (LM) : Bien sûr, la pandémie a eu un impact : auparavant, le grand public ne se posait pas vraiment la question de l'air qu'il respirait à l'intérieur des bâtiments. Désormais, le sujet est devenu concret pour tous : comment renouveler notre air ? Comment fonctionne la ventilation ? Quels sont les impacts du recyclage de l'air intérieur en termes de diffusion des virus ? Dans quelle proportion diluer l'air intérieur avec de l'air extérieur dit "neuf" suffit-il à supprimer les risques de propagation du virus ? Comment traiter cet air qui transporte lui-même des polluants ?
Concrètement, l'émergence de ces nouvelles questions a-t-elle eu un impact sur l'évolution des solutions mises à disposition des usagers pour améliorer la qualité de l'air ?
Laure Mouradian (LM) : Tout d'abord, il convient de différencier deux types de techniques, qui peuvent se compléter : la ventilation et l'épuration de l'air.
François Battistoni (FB) :- La ventilation
Les fonctions principales de la ventilation mécanique sont d'apporter l'air extérieur ("air neuf") pour les occupants, et maintenir les polluants générés à l'intérieur des bâtiments à un niveau bas, par dilution (CO2, COV, etc…). Plus le débit d'air est élevé, plus les polluants sont dilués, mais cela a des conséquences directes sur la consommation d'énergie, sur deux aspects : la consommation des ventilateurs et la nécessité de chauffer ou refroidir l'air introduit. C'est pourquoi la maîtrise de la consommation des systèmes de ventilation implique de régler les débits au "juste nécessaire", idéalement de les moduler en fonction du niveau de pollution, du taux d'occupation et des objectifs de QAI à atteindre, et éventuellement de pouvoir récupérer l'énergie contenue d'ans l'air extrait de ventilation. Les systèmes de ventilation peuvent ainsi être de type simple flux ou double flux avec échangeur sur l'air extrait.
La pandémie a provoqué un intérêt pour des technologies complémentaires, comme l'épuration de l'air.
- L'épuration ou purification de l'air
Les filtres à particules sont pratiquement toujours présents dans les épurateurs pour les particules inertes et vivantes (si le filtre est à haute efficacité - HEPA). Ils peuvent être complétés par d'autres technologies (plasma, photocatalyse, ionisation, filtration électrostatique, UV-C, charbon actif) qui permettent ainsi de cibler d'autres types de polluants. Aucune technologie n'agit sur l'ensemble du spectre.
Il est important de préciser que l'épuration de l'air vient en complément de la ventilation, car pour apporter l'oxygène et évacuer le CO2, seul le renouvellement d'air fonctionne !
Lors de la pandémie, l'offre d'épurateurs de type "autonomes", plus communément appelés sur le marché purificateurs d'air, que les usagers peuvent déplacer et installer dans les pièces qu'ils souhaitent, a connu une forte croissance.
Pour sélectionner un épurateur, la performance d’efficacité de filtration/épuration est un critère important, mais le débit d’air est un paramètre tout aussi essentiel, car il conditionne la taille du local qui pourra être traité. Dans les bonnes pratiques, le taux de brassage considéré pour une épuration efficace est de l’ordre de 5 volumes par heure.
Comment teste-t-on les épurateurs / purificateurs d'air ?
François Battistoni (FB) : Au CETIAT, nous disposons de bancs d'essais de filtres à air. Ces bancs ont été adaptés pour tester les performances intrinsèques des épurateurs selon la norme NF B44-200 : 2016 (Épurateurs d'air autonomes pour applications tertiaires et résidentielles - Méthodes d'essais - Performances intrinsèques) de filtration particulaires des épurateurs.
Nous mesurons systématiquement les débits et consommations électriques des appareils, ainsi que l'efficacité de filtration vis-à-vis des particules inertes. L'efficacité de filtration vis-à-vis des particules vivantes (bactéries, champignons, pollen) est mesurée sur notre banc avec le concours d'un partenaire spécialisé.
Les mesures de débit et d'efficacité de filtration sont combinées pour déterminer le CADR (Clean Air Delivery Rate), littéralement le « débit d'air épuré ». Il traduit simplement le fait qu'un appareil de faible efficacité doit brasser plus d'air pour éliminer les polluants.
Le CETIAT teste aussi le niveau de bruit des appareils, car si celui-ci est élevé, les appareils seront rarement utilisés à leur débit maximum.
Alors comment bien choisir son système ?
Il ne faut pas opposer les deux techniques, ventilation et épuration, on peut les associer en tenant compte du contexte : quel type de bâtiment ? Quelle source de pollution est en jeu ? Quel espace à traiter ? Le public accueilli a-t-il une fragilité particulière ?
Laure Mouradian (LM) : En premier lieu, il ne faut pas opposer les deux techniques, ventilation et épuration. Leur dimensionnement répond à des enjeux différents et doit prendre en compte le contexte : quel type de bâtiment ? Quelle source de pollution est en jeu ? Quel espace à traiter ? Le public accueilli a-t-il une fragilité particulière ?
Pour la ventilation, le dimensionnement doit permettre de respecter les réglementations nationales en termes de QAI et de performance énergétique.
Dans le cas des épurateurs, on regarde tout d'abord les polluants à traiter, pour choisir la technologie d'épuration, et le volume du local à assainir, ce qui induit le débit recherché.
L'absence d'émission de sous-produits indésirables comme l'ozone est également un critère de choix important.
Le niveau de bruit des appareils - à débit équivalent - et leur consommation électrique doivent être comparés.
La géométrie des locaux a-t-elle une influence sur l'efficacité des épurateurs autonomes ?
François Battistoni (FB) : Oui, la performance intrinsèque de l'appareil choisi n'est pas la seule donnée à prendre en compte. La performance finale est impactée par l'environnement. Par exemple, pour un purificateur d'air autonome, son positionnement dans la pièce contribue au résultat : son efficacité n'est pas la même s'il est placé au centre ou dans un coin. D'ailleurs, le CETIAT mène actuellement un projet de recherche sur ce sujet des performances réelles des épurateurs dans les bâtiments. Cette étude paramétrique repose sur l'utilisation de la simulation numérique des écoulements d'air et du transport d'aérosols, ainsi que sur des mesures de concentration de particules dans l'ambiance de plusieurs locaux tertiaires. Elle a pour but de produire des données et d'aboutir à des recommandations d'implantation et de dimensionnement.
Comment les travaux du CETIAT permettent-ils aux fabricants de ces épurateurs de progresser et de proposer des solutions plus performantes ?
François Battistoni (FB) : Aujourd'hui, la description des performances des appareils n'est pas homogène. Mettre en place des indicateurs harmonisés est une première étape indispensable.
C'est par exemple le cas pour l'affichage des performances acoustiques. Le bruit ressenti par les usagers (pression acoustique locale) dépend de nombreux facteurs. La pièce est-elle vide ou abondamment meublée, équipée de parquet ou de moquette, quelle est sa surface… et bien sûr, la mesure est-elle faite à la sortie de l'appareil ou à quelques mètres ? La caractérisation en laboratoire de la puissance acoustique des appareils, indépendante des propriétés du local d'installation, permet une parfaite comparaison entre les équipements.
Comment le CETIAT accompagne-t-il les fabricants pour leur permettre de fiabiliser et d'améliorer les performances de leurs produits ?
Laure Mouradian (LM) : Nous avons plusieurs types de contributions, au niveau individuel et collectif, français et international :- Nous aidons les fabricants de manière très pragmatique
Nous avons les plateformes d'essai nécessaires pour une caractérisation complète de leurs produits sur les différents paramètres : acoustiques, aérauliques, thermiques et efficacité de filtration. Nos équipes d'expert peuvent les accompagner depuis l'idée jusqu'à la mise sur le marché, avec une logique d'amélioration continue. Nous les aidons à faire évoluer leur prototype au fur et à mesure des expérimentations, jusqu'à ce que ses performances soient satisfaisantes.
- Au niveau de la filière
Notre ADN de Centre Technique Industriel consiste à mener des études collectives, du suivi normatif et règlementaire et des projets de recherche, bénéfiques pour nos ressortissants, sur l'ensemble des sujets techniques auxquels ils sont confrontés dans le développement de leurs produits.
L'actualité de la réglementation française est dense : nous avons participé dans le cadre de la RE2020 à l'élaboration du protocole de vérification des installations de ventilation dans les bâtiments résidentiels.
Dans la continuité de cette réglementation, la démarche CAP2030 vise à concevoir un cadre de référence plus ambitieux que la RE2020 et a créé un groupe de travail QEI (Qualité de l'Environnement Intérieur) où la qualité de l'air intérieur est largement mise en avant. Nous suivrons ce sujet avec attention.
- A l'échelle internationale
Nos actions peuvent s'inscrire dans le cadre de projets de recherche européens comme par exemple le projet d'Annex 86 du programme énergie des bâtiments de l'agence internationale de l'énergie (AIE EBC) sur la "Gestion efficace de la qualité de l'air intérieur dans les bâtiments résidentiels".
Outre la définition des indicateurs et des critères QAI, ce programme de recherche prévoit d'évaluer l'efficacité de différentes stratégies de simulation via des simulations numériques. Les différents centres de recherche européens participant au projet mutualisent leurs résultats pour tirer des enseignements solides sur lesquels toute la profession pourra s'appuyer.
Nous sommes également engagés dans plusieurs commissions de normalisation européennes et internationales sur les méthodes d'essai des équipements.
Vous êtes donc au cœur de l'innovation des industriels. Quelle est votre vision de l'évolution du marché ces prochaines années ?
Laure Mouradian (LM) : Nous avons débuté l'entretien en repositionnant les deux techniques : purification d'air et ventilation. Ces deux fonctions peuvent être assurées de façon séparée ou intégrées dans un seul équipement ou système. Ainsi les systèmes de ventilation avec un soufflage d'air mécanisé, centrales de traitement d'air, VMC double flux, intègrent à minima un filtre particulaire. Certains systèmes de ventilation mécanique simple flux par extraction proposent désormais d'être couplés à des entrées d'air conçues pour pouvoir filtrer l'air extérieur. Le CETIAT a déjà eu l'occasion de travailler avec certains ressortissants pour valider la performance de ce type de système. De façon générale, les systèmes à vecteur air, plutôt dédiés au conditionnement de l'air peuvent inclure des fonctions d'épuration.
Quelles que soient les qualités intrinsèques du produit, ses performances sont aussi liées à l'installation et à l'entretien des systèmes. C'est pourquoi nous avons également un centre de formation et nous incitons les installateurs à bien actualiser leurs compétences.
Le mot de la fin ?
Laure Mouradian (LM) : L'essentiel de notre activité consiste à accompagner la filière industrielle : depuis la participation aux réglementations jusqu'à la mise sur le marché de leur produit, en passant par l'aide à la conception, l'expérimentation, la validation. Quelles que soient les qualités intrinsèques du produit, ses performances sont aussi liées à l'installation et à l'entretien des systèmes. C'est pourquoi nous avons également un centre de formation et nous incitons les installateurs à bien actualiser leurs compétences pour suivre les évolutions techniques qui sont parfois rapides.
Partagez sur les réseaux